Estrategia Internacional N° 17
Abril 2001

EQUATEUR, BOLIVIE, ARGENTINE,
LUTTES DE MASSE ET AUTO-ORGANISATION

Par Eduardo Molina.

L'Amérique latine est le théâtre d'importants processus de lutte de masse. Il y a un peu plus d'un an, pendant l'été [austral] 2000, a déferlé une profonde vague de luttes ouvrières, paysannes, indigènes et populaires, avec pour épicentre la région andine, mais qui a également concerné d'autres pays: le Costa Rica, le Paraguay et l'Argentine.
Aujourd'hui une nouvelle vague de convulsions politiques et de mobilisations sociales a commencé à s'étendre: le nouveau soulèvement indigène en Equateur début février, la crise nationale de mars et la grève de 24 heures en Argentine, la grève générale du 22 mars en Colombie, l'incessante agitation que connaît la Bolivie - qui semble s'approcher d'une nouvelle explosion - les importantes grèves des ouvriers du pétrole, de l'acier et des instituteurs qui mettent un terme à la "paix sociale" au Venezuela, la proche agonie du gouvernement et les mobilisations paysannes massives au Paraguay.
Parmi certains de ces processus les plus aigus on a pu voir émerger de nouvelles formes d'organisation et des méthodes radicales de lutte. En Equateur, sur la base du grand soulèvement indigène du 21 janvier 2000, il s'est formé un "Parlement Populaire". En Bolivie, au cours du mois d'avril précédent, la Coordinadora por el Agua y la Vida [Coordination en défense de l'Eau et de la Vie] a centralisé la rébellion de Cochabamba [seconde ville du pays], et en septembre le nouveau soulèvement indigène a ébranlé le pays. En Argentine, les grèves générales massives et le mouvement de travailleurs au chômage croissant, qui ont généralisé l'utilisation de l'arme des "piquets" et des barrages et coupures de route ont monté l'ampleur du mouvement de protestation.
Ces précieuses expériences méritent une certaine attention: les masses commencent sont en train de forger de leurs mains les échelons permettant de construire une subjectivité supérieure pour le mouvement ouvrier et populaire. L'objectif de cet article et d'approcher, à partir de cet angle-là, quelques-unes de ces expériences, parmi les plus avancées, qui nous offrent des leÁons d'une br°lants actualité.

INTRODUCTION.
La question fondamentale de notre époque est celle du sujet social et politique capable de mener à bien une transformation radicale de la société. Pour le marxisme révolutionnaire, l'essence du problème réside en la préparation du prolétariat et de ses alliés pour affronter les tâches fixées par notre époque: la révolution ouvrière et socialiste à échelle mondiale.
L'époque historique que nous vivons se caractérise par une contradiction extrêmement aiguë entre la maturité des conditions objectives -essoufflement des possibilités historiques de développement des forces de production pour le capitalisme et la polarisation de la société entre exploités et exploiteurs- et le retard du facteur subjectif.
Ceci n'est pas nouveau. "La conscience de la société reste toujours en deÁà par rapport aux conditions objectives du développement, et c'est ce que l'on voit reflété à échelle mondiale dans le destin du prolétariat" comme l'écrivait déjà Léon Trotsky il y a longtemps(1). C'est uniquement face aux grandes convulsions que l'humanité connaît régulièrement que, la "nécessité aiguë, profonde et irrépressible d'effectuer un changement dans la structure sociale révélée au grand jour" le facteur subjectif peut se révolutionner et se mettre en adéquation avec les nécessités historiques. Evidemment, la vision marxiste n'entend pas la subjectivité comme un simple reflet du développement automatiques des conditions objectives. Le mouvement ouvrier et de masse doit aller de l'avant dans sa préparation matérielle et idéologique au cours des étapes antérieures à la révolution.
Aujourd'hui néanmoins le retard de la conscience par rapport aux conditions d'existence est extrême, la subjectivité du prolétariat traversant une crise aiguë sur laquelle pèsent les graves séquelles de décennies de l'offensive bourgeoise-impérialiste à l'encontre de la classe ouvrière internationale et la subordination de ses vieilles organisations dirigeantes à l'ordre bourgeois.
Les travailleurs ont très peu confiance en leurs propres forces et on a exclu de l'imaginaire collectif l'idée- même d'un changement social radical. Au sein des secteurs les plus conscients et actifs la perspective d'une révolution sociale ou la colossale force sociale et politique en puissance du prolétariat ne sont pas présents. Il n'existe pas de courants marxistes révolutionnaires ayant une certaine influence.
Bien s°r, la rénovation de la subjectivité de la classe ouvrière et de ses alliés sociaux sera un processus difficile, inégal et contradictoire; ne sera pas exempt de défaites et d'échecs et recouvrira une période considérable. C'est cette route que devra prendre le mouvement ouvrier pour avancer dans le sens révolutionnaire de la reconstruction de l'ensemble de ses organisations, de ses méthodes d'action ainsi que ses logiques revendicatives, son idéologie et sa conscience, de manière à choisir une nouvelle direction, qui le place dans les meilleurs conditions possible pour les futurs affrontements décisifs de la lutte de classe.
Du point de vue de la lutte de classe, nous préparons une étape préparatoire à un niveau international au sein duquel l'affrontement ouvert entre révolution et contre-révolution(2) ne prédomine pas encore, bien que les conditions de passage à un stade supérieur se réunissent. La classe ouvrière n'occupe pas le centre de la scène politique, il n'existe aucune large radicalisation, et les processus les plus aigus sont nés dans les périphéries, au sein des maillons les plus faibles du capitalisme mondial.

La situation internationale actuelle se caractérise par la combinaison de:
L'aggravation des contradictions économiques, sociales, politiques et culturelles du capitalisme impérialiste qui est à la base du processus de délégitimation sociale et de perte de consensus dans la domination du grand capital.
Une croissante tension au sein de la lutte de classe qui se traduit en Amérique Latine par une mobilisation grandissante des masses, par la lutte des peuples opprimés comme les Palestiniens, et le retour à une "protestation sociale" en Europe tel qu'on pu le souligner de nombreux analystes.
L'extension du mouvement anticapitaliste international à partir des pays centraux qui indique le réveil à la vie politique et les premiers pas vers un certain début de radicalisation d'une nouvelle génération d'avant-garde.
Un processus de renversement idéologique avec la crise du discours néo-libéral et la quête d'explications profondes à la crise de l'humanité.
Il s'agit d'autant d'éléments qui commencent à apporter une base matérielle plus favorable pour avancer dans la reconstruction de la subjectivité ouvrière, puisque c'est uniquement à travers la plus large expérience de la lutte de classe que l'on pourra avancer: "l'action politique (...)contribue à l'éducation des ouvriers pour la révolution " affirmait Engels(3).
C'est au travers du processus vivant de la lutte de classe, à travers l'unification de ses rangs et sa différenciation politique , que le "spontanéité, forme embryonnaire de la conscience, devient consciente"(4). Voici le terrain en somme dans lequel s'inscrit la lutte pour recomposer la continuité du marxisme révolutionnaire et faire les premiers pas dans le sens du dépassement de la crise historique de la direction révolutionnaire du prolétariat.

Ainsi, à la lumière de ces considérations générales, que montrent les grandes luttes de masse auxquelles nous avons assisté en Amérique Latine.
Un trait de grande importance réside en cela que certaines de ses expressions les plus avancées montrent comment, au cours des grands processus de mobilisation sociale, il se fait sentir la nécessité de formes d'organisation plus larges et plus démocratiques pour la lutte et des méthodes d'action plus radicales. Au sein de ces tendances se manifeste l'inclination des masses à prendre en main les problèmes les plus br°lants, à faire face aux problèmes nationaux, à se libérer de la soumission aux mécanismes normaux de domination de la bourgeoisie et de son Etat. Ces expériences vont dans le sens d'un affrontement entre classe beaucoup plus développé, l'auto- organisation et la démocratie directe pour la lutte.
De cette manière les masses ont commencé à semer de nombreux et précieux jalons, encore partiels, inachevés et confus quant à leurs idées et illusions, sur le chemin d'une recomposition progressive de leur subjectivité.

Néanmoins, l'attention politique qu'on leur a porté et la réflexion théorique dont elles ont fait l'objet sont très faibles, et pas seulement dans le monde " académique ", mais aussi dans les milieux de gauche.
De plus, la plupart des analyses concernant ces processus de masse, ne sont pas approfondis en regard aux nouvelles formes d'organisation politique ainsi que les méthodes radicales de luttes.
Quant à la méthode, on peut schématiser deux grandes tendances d'interprétation.

1-Une vision privilégiant ce qui est "superstructurel" et qui conÁoit les actions spontanées des masses comme des pas primitifs ou élémentaires de protestation, sans continuité ou perspectives propres, qui devraient laisser place à des formes plus "élevées" et institutionnalisées à travers un "levier syndical et revendicatif" d'une part, et "politique" (à travers des formes parlementaires ou municipales) de l'autre. Cette conception tient compte des nécessités, des directions réformistes et populistes dont la logique consiste à réarticuler des médiations qui empêchent une rupture subversive de l'ordre constitué par les masses.
2-L'autre vision, moins diffusée, attribue une primauté unilatérale à la "spontanéité". Cette tendance consiste à prendre les choses telles quelles, en soi, de manière impressionniste. Cette méthode d'interprétation correspond aux conceptions "autogestionnaires", " de base "( comme on le disait dans les années 70), elle n'élucide pas ses contradictions internes ni le rôle joué par les directions existantes et est impuissante à développer son potentiel subversif.
3-La méthode marxiste, au contraire, permet de réaliser une analyse concrète de ces phénomènes, en pénétrant leurs relations internes, leurs contradictions et leurs dynamiques. Il s'agit, comme le disaient Marx et Engels, "de représenter dans l'actualité du mouvement, le futur du mouvement" (*5). C'est-à-dire qu'il s'agit de comprendre ces phénomènes partiels en rapport avec la totalité du mouvement social dans sa perspective historique. Nous essayerons de suivre cette ligne méthodologique. Nous ne prétendons pas dans ce travail analyser l'ensemble de la richissime et complexe problématique du sujet historique (*6). Nous nous limiterons à aborder quelques unes des récentes expériences de la région que nous considérons particulièrement significative: Equateur, Bolivie, Argentine.
Nous prendrons comme fil conducteur de cette analyse trois aspects: 1- le caractère de l'affrontement social et politique; 2- les nouvelles formes d'organisation; 3- les méthodes d'action utilisées; et cela en étudiant quelques uns des enseignements du point de vue d'une stratégie ouvrière indépendante.

I-PROCESSUS DE LUTTES DE MASSE EN AMERIQUE LATINE.

Depuis le dernier tiers des années 1990, l'Amérique Latine s'est transformée en un laboratoire de phénomènes sociaux et politiques s'intégrant à la tendance à l'accentuation de la lutte de classe.
A la base de ce processus, se trouvent les profondes transformations économiques et sociales qu' a imposé la pénétration impérialiste au cours de la dernière décennie. A un niveau superstructurel, on découvre une crise politique et une croissante instabilité qui traverse la région, sapant les bases des régimes politiques et menant à "l'ingouvernabilité" dont la bourgeoisie et l'impérialisme ont si peur.
C'est sur ce terrain que les secteurs avancés des masses latino- américaines sont en train d'accumuler un important bagage politique. Nous soulignerons quelques éléments de ces processus.

1-L'usure politique croissante de la "démocratie pour les riches" et des mécanismes de domination politiques de la bourgeoisie. Alors que la crise dans laquelle se trouvent les systèmes traditionnels de partis s'approfondit, un phénomène de délégitimation croissant des Parlements, de la Justice et des autres institutions clés de l'Etat se répand au sein de vastes couches sociales. Cette expérience tend à avancer malgré le pouvoir diluant néfaste que joue les différentes médiations populistes ou réformistes, depuis le chavisme au Venezuela en passant par le PT au Brésil , Pachacutic en Equateur, jusqu'au FSLN au Nicaragua qui sont autant de garants pour empêcher une rupture avec le système de démocratie formelle.
2-Le discours idéologique "néo-libéral", en faveur des privatisations et pro-impérialiste qui a dominé les années 1990 est en recul. Il existe de surcroît ce bagage politique au sein de certains secteurs des masses qui se sont mobilisées, qui ont pu vérifier dans la lutte l'état de leur propre force et identifier, parmi l'impérialisme nord-américain, le FMI, le grand capital financier, les grands propriétaires, l'ennemi avec plus de clarté.
3-Il existe un processus large et profond d'émergence des opprimés et une intensification de la lutte de classe qui a débouché sur des situations pré-révolutionnaires dans plusieurs pays (Colombie, Equateur, Bolivie, Paraguay ou Argentine), des soulèvements à caractère semi-insurrectionnel (Bolivie, Equateur) et de multiples manifestations de protestation et mobilisation sociale. La paysannerie et les masses indigènes ont connu une forte remontée depuis le Mexique jusqu'au pays mapuche, depuis la Colombie jusqu'au Brésil, qui a su fortifier et donner un nouveau souffle à des organisations de masse telles que le MST brésilien, la CONAIE d'Equateur ou la FNC paraguayenne. Aujourd'hui ce processus tend à se combiner avec des luttes urbaines et ouvrières comme l'ont montré les grèves générales en Argentine et l'agitation urbaine en Bolivie. De vastes secteurs populaires participent à ce processus depuis les petits producteurs menacés de ruine, les sans-abri, certaines couches moyennes qui se mobilisent derrière des revendications démocratiques. Plusieurs luttes étudiantes, au Mexique ou au Chili, qui montrent l'inquiétude gagner certains secteurs des nouvelles générations.
4-L'éruption d'un nouveau mouvement paysan et indigène est sans doute le processus socio-politique le plus spectaculaire de ces dernières années. Ce mouvement qui montre au cours de ses actions son potentiel et sa combativité, met à l'ordre du jour "la question fondamentale de l'autodétermination" et replace au centre "de débat national sur la réforme agraire, l'émergence d'une organisation paysanne de base développant ses propres structures et ayant ses propres leaders, et ne devant rien à aucun partis (*7). Son ascension se produit en réponse à la pression brutale que font peser le grand capital et l'impérialisme sur les territoires, les conditions de vie et la culture des masses rurales. Ce processus se trouve être à la base des occupations de terres au Brésil, des grands soulèvements équatoriens et boliviens, le renforcement des FARC en Colombie, de la lutte andine défendant la production de la feuille de coca, des manifestations regroupant des dizaines de milliers de personnes qui ont accompagné la marche zapatiste jusqu'à Mexico.
5-Un nouveau mouvement ouvrier commence à faire ses premiers pas au sein de ce processus de mobilisation sociale et de crise politique. Même si la classe ouvrière n'est pas encore visible sur cette scène en tant que force sociale autonome, elle est néanmoins partie prenante de ce processus. Au Costa Rica, en Colombie, en Argentine, en Uruguay, on a enregistré au cours de ces derniers douze mois plus d'une douzaine de grèves nationales ainsi que des centaines de débrayages locaux, de luttes de résistance ou de mobilisations partielles, montrant ainsi les tendances à la reprise de l'initiative ouvrière après des années de coups subis sous l'offensive capitaliste.
6-Une nouvelle génération commence à s'éveiller à la vie politique, dans les luttes universitaires et étudiantes comme au Mexique et au Chili, au cours des mobilisations démocratiques au Pérou et au Paraguay, ou comme un reflet du mouvement de jeunesse anticapitaliste international dont la dynamique se diffuse depuis les pays centraux. C'est dans cette génération, en cherchant des réponses profondes à la crise générale de la société, que se trouvent les éléments d'une nouvelle avant-garde qui fait ses premiers pas sur le chemin de la radicalisation politique.

Des tendances avancées à la mobilisation.
La mobilisation des masses tend à la lutte politique contre les programmes néo-libéraux et les gouvernements qui les dirigent, remettant en cause les régimes de "démocraties pour les riches" et l'ordre étatique. Ceci s'est exprimé ouvertement lors des soulèvement en Equateur et en Bolivie, et lors de la grande lutte contre la privatisation de l'électricité au Costa Rica .
Lors de ces grandes actions qui allient l'énergie et la spontanéité des masses, s'expriment les tendances à dépasser l'atomisation et la fragmentation des rangs de la classe ouvrière et des masses pauvres, ainsi que la convergence de la campagne et de la ville, annonÁant de fait la nécessité de l'alliance ouvrière, paysanne et populaire.
Au cours des soulèvements, des rebellions, des barrages routiers et des affrontements avec les forces de répression, dans la lutte, pour le contrôle du territoire qu'impliquent les barrages ou l'embryon d'autodéfense que sont les piquets de grève, des tendances à la guerre civile se manifestent. D'après la définition classique du marxisme, "la guerre civile constitue une étape déterminée de la lutte de classe lorsque celle-ci, en brisant les cadres de la légalité, en arrive à l'affrontement public et, dans une certaine mesure, physique, avec les forces s'opposant à elle" ( *9). C'est ainsi que s'exprime la dynamique subversive de l'ordre en place que tend à prendre la mobilisation de masse et qui représente un entraînement militaire important pour les couches les plus avancées.
C'est au cours de ce processus qu'ont surgi les formes d'organisation les plus avancées et démocratiques, front unique des masses pour la lutte, comme les Parlements en Equateur, la Coordinadora en Bolivie, les "piquets" en Argentine, ou encore l'extraordinaire lutte des étudiants d'UNAM de Mexico qui ont maintenue leur université pendant dix mois au cours desquels le CGH (Conseil Général de Grève) a vu le jour.
Ces expériences d'organisation, avec leurs méthodes de combat, sont les éléments les plus avancés. Il n'existe aucune tendance à l'indépendance politique, ni d'avant-garde radicalisée avec suffisamment d'influence, qui tende clairement vers la révolution. Tout ceci ouvre un espace au cours de la période actuelle pour le programme réformiste des directions actuelles se posant comme médiateurs. Cependant, certains secteurs des masses ont fait d'importants pas en avant à travers les mots d'ordre revendiqués. Les revendications démocratiques et d'autodétermination soulevés par le mouvement paysan et indigène d'Equateur et de Bolivie, le rejet des privatisation comme au Costa Rica ou le mot d'ordre progressiste "Du travail pour tous!" des travailleurs au chômage argentins, ou encore le sentiment anti-impérialiste, comme le montre le rejet du Plan Colombie ou des protestations contre l'ALCA, en sont témoin.

II-TROIS EXPERIENCES: EQUATEUR, BOLIVIE, ARGENTINE.

Au sein de la multiplicité et de la richesse de ces premières répétitions pour le mouvement de masse, deux grands courants s'expriment.

L'un tendant au front unique sur les bases des organisations déjà existantes (ouvrière, paysanne et populaire) et à travers l'accord des directions actuelles, face à des situations de crise politiques aiguës et des protestations de masse. C'est le cas de l'Equateur et de la Bolivie dans lequel le principal protagoniste de cette période-ci et le mouvement paysan alors que l'intervention du prolétariat est moindre.
L'autre tend à la création d'organismes originaux prenant naissance à la base, dans des secteurs préalablement non organisés ou lorsque les organisations officielles du mouvement ouvrier sont contre ces mobilisations. C'est le cas des principales expériences des mouvements de travailleurs au chômage en Argentine.
Ces deux courants, loin de s'exclure, se combinent au contraire, au cours de processus vivants et multiformes.

Equateur: le soulèvement de janvier 2000 et les parlements populaires.

Depuis début 1997, lorsqu'une importante rébellion ouvrière, paysanne et populaire a fait tomber Bucaram, le pays est traversé par un processus révolutionnaire émaillé de convulsions politiques, économiques et sociales. L'année 2000 a commencé sur une accentuation de cette crise. Alors que le gouvernement de Mahuad se trouvait à l'agonie, il devait faire face à d'importantes contradictions en son sein. C'est dans ces conditions qu'a eu lieu la nouvelle irruption du mouvement paysan et indigène équatorien qui a connu une longue décennie de mobilisation et d'organisation, incluant quatre soulèvements nationaux. C'est au cours de ce processus que s'est fortifiée la CONAIE (Confédération des Nationalités Indigènes de l'Equateur) sur la base d'autres organisations telles que Ecuarunari et la FENOC (*11). Le mouvement combine la résistance au plan pro-impérialiste des gouvernements successifs avec la lutte pour la terre et l'autodétermination.

Le 21 janvier 2001.
Ce soulèvement a marqué un point dans la lutte politique de masse en tant qu'action menée essentiellement par le mouvement paysan et indigène qui a ouvertement mis à l'ordre du jour le problème du pouvoir politique en remettant en cause le gouvernement de Mahuad et en s'orientant vers une issue politique des cadres et des institutions "normales" de la "démocratie pour les riches." Et cela bien que la direction de la CONAIE ait imposé une politique d'appui aux militaires et un programme timidement réformiste.
La rébellion a progressé à travers les barrages routiers et plusieurs milliers de paysans et d'indigènes, convergeant sur Quito, malgré le déploiement massif des forces de répression, o? ils ont pris d'assaut le Congrès et d'autres édifices publics. C'est là que le mouvement s'est combiné avec le soulèvement d'une fraction de l'officialité de rang moyen pour faire tomber le gouvernement et imposer pendant quelques heures une "Junte de salut national", menée par le colonel Lucio Gutierrez, Antonio Vargas (leader paysan) et un ancien juge. Pendant ce temps-là, les travailleurs des secteurs stratégiques du pétrole et de l'électricité se mettaient en grève. Le soulèvement réclamait la dissolution du Congrès, l'épuration de la Justice et un programme économique "non néo-libéral": une économie mixte de marché solidaire. En matière politique, il proposait la création d'une Junte de gouvernement d'un Conseil d'Etat et d'un Parlement des Peuples, pour arriver "à un Etat multinational et pluriethnique" (*12). C'est à dire qu'il s'agissait en fait d'un programme de réforme fondamentalement politique qui ne remettait pas en cause la grande propriété capitaliste de la terre et des entreprises.
Le soulèvement a été conÁu par la direction de la CONAIE et de Pachacutic (*13) comme une grande mobilisation pacifique avec une faible participation ouvrière urbaine devant être subordonnée à la conspiration militaire. En n' ayant pas un programme d'unité à destination du mouvement ouvrier et indépendant des militaires et de la gauche bourgeoise, le mouvement ne possédait aucune perspective propre. L'échec du colonel Gutierrez à gagner l'appui de l'ensemble des Forces Armées a sapé cette tentative et le gouvernement est resté entre les mains de Noboa ( le vice-président), la bourgeoisie pouvant reprendre l'initiative politique et contrôlant la situation.
En cela le soulèvement s'est terminé comme une dure défaite politique pour les masses. La responsabilité politique de celle-ci repose sur les épaules des directions de la CONAIE et de Pachacutic. Il s'agit d'une responsabilité partagée avec le bloc maoïste- stalinien qui a maintenu une politique de division, se refusant à lier les forces de la campagne et de la ville ( o? il possède une certaine influence au sein du mouvement syndical et étudiant), alors qu'il courtisait les secteurs du personnel politique de la bourgeoisie ( des militaires, des curés et des juges) et appuyait la Junte au nom d'un "gouvernement de souveraineté et d'union nationale."(*15)
A la suite de l'échec de son projet front- populiste, la CONAIE s'est tournée vers une stratégie de négociations avec Noboa et s'est réconciliée avec la "démocratie" (Pachacutic fait aujourd'hui partie des Conseils municipaux dans de nombreuses provinces.
Malgré la forte impression qu'ont provoqué ces événements au niveau international, et notamment au sein de la gauche, marquée par les discours initiaux de Vargas, son programme est resté limité au réformisme et comme le reconnaissait un dirigeant, "il est difficile de comprendre que le mouvement indigène ait une dynamique partant d'un discours pouvant paraître radical, mais qui fait pression sur le possible." (*16) La base paysanne s'est retrouvée, à de nombreuses reprises, plus à gauche que ses dirigeants, comme cela se réfléchira dans les tensions et critiques internes, au sein de la CONAIE.
La défaite du 21 janvier n'a pas signifié une stabilisation durable de l'Equateur malgré l'imposition du programme de dollarisation. De nombreuses mobilisations de travailleurs et de paysans se sont succédées depuis, débouchant sur un nouveau soulèvement qui a culminé le 7 février le 7 février dernier par une nouvelle grève générale et une énième négociation avec le gouvernement. Cela a démontré que les masses équatoriennes sont capables de reprendre l'initiative en dépit de la politique de conciliation de leurs dirigeants indigénistes, sociaux-démocrates et mao-stalinien.

Les parlements populaires.

Au cours des journées précédant le soulèvement du 21 janvier, "un Parlement National des Peuples de l'Equateur", constitué "par plus de 21 Parlements provinciaux, d'innombrables Parlements communaux, de canton et de quartier", proclamaient avoir "assumé directement l'exercice de la souveraineté nationale" et appelait à la dissolution des pouvoirs de l'Etat. (*17) L'appel à les constituer est parti d'Antonio Vargas et de Pachacutic, réitérant par là une mécanique, type: les directions bureaucratiques et réformistes se voient obligées, en fonction des circonstances politiques, "à chercher un point d'appui plus solide parmi les masses, et celles-ci à leur tour se voient poussées à l'action." (*18)
En impulsant ces Parlements, il s'agissait de trouver un point d'appui au sein de la mobilisation de masse, en vue du projet de front populaire avec le colonel Gutierrez et ses officiers, tout comme il s'agissait de trouver un espace de collaboration avec les dirigeants de la gauche de la classe dominante. Effectivement, comme le raconte Kintto Lucas, "avant l'installation du Parlement national, la CONAIE, les syndicats, les organisations professionnelles et non gouvernementales, les entrepreneurs, les représentants de l'Eglise, ont étable dans diverses provinces des Parlements populaires agissant comme des autorités alternatives. Dans le province d'Azuay, à 500km au sud de Quito dans les montagnes, le Parlement populaire présidé par l'archevêque de la ville de Cuenca, Luis Alberto Luna Tobar a pris ses fonctions dimanche avec la participation de plus de 50 délégations. Ces Parlements, qui discutent des problèmes régionaux, ont élaboré des propositions qui seront proposées au Parlement National, se réunissant mardi à Quito." (*19).
La base de ces Parlements se trouvait dans les organisation paysannes et indigènes, mais la plupart des syndicats et des organisations étudiantes n'y ont pas participé avant tout à cause de la politique de division des maoïstes, tout à leurs disputes d'appareils avec Pachacutic, puisqu'ils avaient d'ailleurs tenté de créer, sans aucun succès, leur "Congrès du Peuple" (*20). Les Parlements commenÁaient à se constituer comme des moteurs de la centralisation de la mobilisation sociale (plus faible à Quito et Guayaquil) dans de nombreuses provinces. Certains analystes ont insisté sur "la situation de double pouvoir qui a régné sur l'Equateur pendant quelques jours, alors qu'après le 21 janvier, les "pouvoirs locaux continuent à être une école politique mais aussi le centre d'organisation autour des indiens et des autres secteurs opprimés et exploités." ( 21) En ce qui concerne le PSTU et la LIT, il s'agissait tout simplement d'une "révolution classique" puisqu'ils comparaient les Parlements à des Soviets (*22)
Mais les Parlements populaires, front unique des organisations existantes et nés d'accords politiques entre les dirigeants officiels, n'ont pas m°ri comme expression de l'aspiration de la base à la démocratie directe et à l'unité dans lutte. C'est pour cela qu'ils n'ont pas réussi à se transformer en une autorité par l'ensemble des travailleurs et des paysans. Comme le signifiait Trotsky, "la tâche d'un soviet ne consiste pas à se transformer en une parodie de parlement ni à organiser de manière égale la représentation des intérêts des différents groupes sociaux, mais bien de doter en unité la lutte révolutionnaire du prolétariat [et des masses paysannes et populaires]" (*23). En raison de la politique néfaste des directions qui les ont transformé en instrument de leurs intrigues et leurs manúuvres, les Parlements se sont progressivement réduits à une parodie. Face à la nécessité d'unir les masses des villes et des campagnes dans la résistance de l'offensive de Noboa, les Parlements ont progressivement perdue de leur contenu et n'ont plus joué de rôle décisif.

Une tradition de démocratie paysanne et populaire.

Les Parlements ne sont pas tombés du ciel, ni l'invention de quelques dirigeants. Ils s'appuient sur divers antécédents prenant racine dans le riche et convulsé processus équatorien.
Au cours des journées de février 1997, pendant le grand soulèvement contre Bucaram, des assemblées du peuple se sont rassemblées dans diverses provinces, en centralisant la mobilisation sociale, et dans certains cas destituant des gouverneurs et autres fonctionnaires bucaramistes, en nommant de nouvelles autorités provisoires. Dans certaines entreprises d'Etat, les travailleurs avaient expulsé les directions en les remplaÁant par leur représentant syndicaux. C'est ainsi que s'exprimaient les tendance à la démocratie directe et au surgissement d'un double pouvoir embryonnaire, immature.
Ces tendances ont resurgi lors des différentes rébellion de masse des dernières années. Les Parlements du 21 janvier en ont constitué le point le plus aigu. Au cours des mobilisations de février 2001, à Cotopaxi, une assemblée populaire a destitué les autorités et a proclamé gouverneur le président de la fédération universitaire locale. Dans d'autres provinces, on a occupé les édifices des communications pour les mettre au service du soulèvement.
Cette tradition de démocratie populaire plonge ses racines dans l'histoire andine et sa tradition de "Cabildos Abiertos" dans les villages et les villes, et de démocratie communautaire paysanne. Elle est constamment alimentée par l'expérience que le mouvement de masse gagne lorsqu'il se retrouve face au mécanisme de tromperie de la démocratie formelle bourgeoise.
La classe sociale qui peut prendre entre ses mains et mener à bien les aspirations des masses pauvres exerÁant leur propre démocratie à travers l'action, c'est le mouvement ouvrier équatorien. Le prolétariat possède une tradition de lutte très importante, comme les insurrections de Guayaquil en 1922, la "glorieuse révolution" de 1944, ou encore l'intensité des luttes dans les années 1980. Cependant, il s'est toujours vu dissout dans le populisme équatorien, dans les directions ouvrières, ont toujours été des courroies de transmission.
La classe ouvrière doit unifier ses rangs et défendre son propre programme. La dispersion syndicale et la précarisation peuvent être dépassées par les armes de l'auto-organisation de la démocratie directe. Lors des prochains combats des masses équatoriennes, il sera question d'approfondir l'expérience des "Parlements" par des organismes supérieurs de front unique, o? l'on impose une représentation authentique des masses en lutte, libérées de l'influence des"notables" petits-bourgeois et bourgeois (curés, militaires, intellectuels des ONG), et o? la centralité sociale et politique de la classe ouvrière, menant les pauvres de la ville et des campagnes, pèse un poids qualitativement différent.

La Bolivie: Avril et septembre 2000 et la Coordinadora por el agua y la vida.

La Bolivie a constitué l'année dernière un des pays ayant connu le plus importants affrontements de classe, accélérant la reprise de l'initiative des masse et redistribuant la donne en leur faveur à la suite de 15 années d'une offensive néolibérale sauvage. Le facteur essentiel de la scène sociale du pays a été sans aucun doue l'irruption à grande échelle du mouvement paysan et indigène. Au cours de la dernière décennie les colons du Chaparé, des petits producteurs de feuilles de coca, ont joué un rôle essentiel en résistant aux plans impérialistes d'éradication des cultures. Mais le fait nouveau réside dans la renaissance du mouvement paysan de l'Altiplano et dans les vallées inter-andines, dont les acteurs ont réalisé le plus important réseau de barrages routiers depuis 1979. La Coordinadora de Cochabamba s'est constituée comme une borne sur le chemin de l'auto-organisation et comme une alliance entre la campagne et la ville. En avril comme en septembre, les affrontements ont frôlé par certains aspects la guerre civile et on fait naître des noyaux d'autodéfense des masses. Alors que l'on boucle cette édition, il semble que la Bolivie s'oriente vers un nouvel affrontement de portée nationale contre le gouvernement d'Hugo Banzer. L'examen de ces grands combats et les leÁons à en tirer sont par conséquent d'une extraordinaire actualité.

Avril.
Depuis début 2000, l'agitation grondait dans la ville et les campagnes aux alentours de Cochabamba, contre la privatisation du réseau régional d'approvisionnement en eau en faveur de l'entreprise "Aguas de Tunari". Début avril, le processus de mobilisation voit le jour dans la ville et dans tout le département, lutte centralisée par la Coordinadora por el agua y la vida.
L'état de siège décrété par le président Banzer a provoqué une véritable insurrection populaire, les barrages routiers se généralisant à la campagne, alors que les affrontements avec les forces de l'ordre se généralisait en ville. Au même moment, le GES (Groupe Spécial de Sécurité de la police) se mutinait à La Paz, revendiquant une hausse des salaires, et ouvrant une brèche grave au sein des forces de répression.
La lutte de Cochabamba s'est transformée en une semi-insurrection populaire, avec des barricades dressées dans les rues accompagnées de durs affrontements, ce qui a forcé l'Armée et la police a de retirer et à laisser la ville aux mains des masses durant plusieurs jours.
La force décisive de la spontanéité décisive des masse s'est exprimée au cours des moments culminants, comme le reconnaît Oscar Olivera, dirigeant ouvrier et principal porte-parole de la Coordination. "On nous a parlé dès le jeudi d'une première réunion [pour ouvrir le dialogue avec les autorités]. Les gens ont encerclé la préfecture et toutes les autorités sont restées retenues à l'intérieur. Là on s'est rendu compte que le problème était assez grave parce qu'on avait perdu le contrôle des gens. Cette même nuit(...), on a arrêté tous les membres dirigeants de la Coordinadora(...). A trois heures du matin on nous a finalement dit que c'était une erreur du gouvernement et qu'on était en liberté. Ca a poussé les gens à poursuivre. Le vendredi, les gens sont descendus massivement dans la rue et ont décidé de rester sur place jusqu'à ce que les choses se clarifient.(...) La réunion a commencé lorsqu'on nous a dit que des renforts arrivaient de La Paz et de Santa Cruz. Il devait y avoir environ 50 000 personnes sur la place et tout le monde s'est dispersé pour se préparer à la bataille."(24)
Des camarades de la LOR-CI Témoins des événements, nous ont écrit :" Ne pouvant plus contenir toute cette énergie, et lorsqu'ils se sont rendus compte que ni les lacrymogènes ni les balles en caoutchouc ne servaient à rien, ils sont passés aux balles réelles qui ont fait un mort et plus de 30 blessés. La colère de la population devant un tel massacre n'a pas eu de limites, et les gens ont br°lé les bâtiments qui les représentaient : l'école des sous-officiers, la caserne du GES, leurs motos ainsi que l'édifice de l'ex CODERCO (Corporation de Développement de Cohabamba]. Après dix heures de combats et à la suite de la mutineries du GES à La Paz, la police, moralement et physiquement, avait perdu la bataille."(25)
Les masse ont fêté leur triomphe en occupant la grand-place de la ville, "espace du pouvoir symbolique", autour de laquelle avaient eu lieu les combats les jours antérieurs. C'est là que se sont réunis d'énormes Cabildos [Conseils communaux] ouverts auxquels participaient des dizaines de milliers de personnes, et dans lesquels la Coordinadora était présente et o? l'on discutait des grandes décisions à prendre.
Pendant ce temps là, les barrages routiers paysans s'étendent à plusieurs régions du pays, notamment dans l'Altiplano au nord de La Paz, comme à Achacachi. Là, à la suite de la répression féroce des militaires, les paysans battent un capitaine de l'Armée à mort.
Dans plusieurs villes comme Oruro, Sucre, Potosi, d'importantes mobilisations populaires se tiennent centrées autour de diverses revendications populaires. A La Paz, les étudiants se heurtent violemment à la police.
Au bout du compte, après le 12 avril, affaibli et face à une crise profonde du régime, Banzer a d° revenir sur la privatisation de l'eau et lever l'état de siège. La lutte n'a pas réussi à s'étendre nationalement, notamment à cause de la politiques des directions syndicales et politiques, celle de la COB [Centrale ouvrière Bolivienne] en particulier, qui ont tout fait pour limiter le conflit.
Néanmoins la Bolivie ne serait plus désormais comme avant : la rébellion de Cochabamba a ouvert la brèche pour une nouvelle situation, avec les masses passant à l'offensive, un gouvernement et un régime profondément affaibli, et une extraordinaire expérience de lutte et d'organisation, alors que l'alarme était au rouge pour la classe dominante et ses politiciens.

La "Coordinadora por el Agua y la Vida"
Il s'agit là de la grande conquête politique des masses de Cochabamba qui a permis de centraliser dans l'action, démocratiquement, tous les secteurs des masses en lutte, en scellant l'alliance entre la ville et les campagnes. La Coordination était un organisme large de front unique réunissant un large spectre d'organisations ouvrières et paysannes : les comités de paysans utilisant l'irrigation (comités de regantes), les syndicats, surtout la fédération des travailleurs d'usine (fabriles) et de l'enseignement, des comités de quartier, des ONGs, des partis politiques, etc...
La COD (Centrale ouvrière départementale) s'est retrouvée débordée et a d° rejoindre la Coordination alors que le Comité Civico [sorte de Comité d'action civique, organisé par la bourgeoisie locale] a été éclipsée.
Au cours de la rébellion;, la coordination a exprimé les tendances à lauto-organisation et à la démocratie directe, et cela malgré la politique de négociation de la plupart de ses dirigeants.
Cette tendance progressiste s'appuyait sur les énormes assemblées populaires qui remplissaient la Place du 14 septembre, et au moment le plus aigu de la lutte, lorsqu'autour du centre urbain, les barricades se sont dressées comme autant d'embryons fugaces d'autodéfense o? les jeunes "Guerriers de l'eau" se battaient contre les forces de sécurité en ayant le soutien massif de la population.
Après la victoire, la Coordination est restée organisée, bien qu'elle se soit "institutionnalisée" et qu'elle soit restée sous la coupe des organisations officielles. Elle a rejoué un rôle important en septembre 2000, bien que cette fois-là l'alliance entre ville et campagne qui lui avait donné toute sa force en avril ne s'est pas reproduite puisque la ville a été quasiment absente des mobilisations. Elle peut jouer néanmoins un rôle important aujourd'hui dans le cadre de nouveaux événements.
La Coordinadora représente l'exemple le plus frappant des tendances à l'autodétermination et à la démocratie directe, tout comme un organe de double pouvoir en avril pendant l'acmé de la mobilisation. C'est cette tendance que A. G. Linera souligne lorsqu'il écrit : "La Coordinadora a pu se passer et encercler l'Etat durant plus d'une semaine , non pas seulement parce qu'elle a obligé ses troupes à s'enfermer dans leurs casernes et a demander la permission pour recevoir des vivres. L'Etat a commencé a se désagréger parce que la foule a développé des formes de participation politique en assemblée qui ont rendu au citoyen le contrôle et la responsabilité directe de ses problèmes (...)"(26).
C'est le refus de la plupart des directions politiques et syndicales d'aller dans le sens d'une extension au niveau national de la lutte et le manque de centralité politique du prolétariat qui ont empêché que sur l'exemple de Cochabamba surgisse un Comité de Grève ou une Coordination Nationale qui scellent l'alliance ouvrière, paysanne et populaire.

Septembre.
Un second sérieux coup asséné au régime a été le mouvement paysan et indigène qu'a connu la Bolivie au mois de septembre 2000, accentuant et infirmant le rapport de force instauré après la semi-insurrection de Cochabamba.
Cette fois-ci les villes, à part à travers la grève des enseignant pour des hausses de salaire, ont peu pris parti pendant le conflit et l'unité entre la campagne et les secteurs urbains tel que cela avait eu lieu autour des revendications concernant l'eau ne s'est pas réitérée.
Cependant, les soulèvements ont eu une portée nationale en se basant sur les noyaux durs du mouvement paysan et indigène : la région d'Achacachi et l'Altiplano au nord de La Paz, zone historique des soulèvements agraires des paysans aymaras, les vallées inter-andines autour de Cochabamba et le Chaparé, région des cocaleros [paysans producteurs de feuilles de coca].
Le mouvement réclamait une réforme de la loi de l'INRA (concernant la réforme agraire initiée en août 1953), ainsi que d'autres revendications, et dans le Chaparé, la défense des cultures de coca et l'opposition à ce que soient construits trois nouvelles casernes financées par le gouvernement nord-américain.
Les paysans -encadrés par la CSTUCB [syndicat paysan] menée par le "Mallku" Quispe, leader aymara et indianiste- ont coupé par des centaines de barrages les routes les plus importantes du pays en isolant des villes comme Santa Cruz, Cochabamba ou La Paz, en paralysant la circulation des marchandises et des personnes et menaÁant d'asphyxie les villes.
La répression barbare déclenchée par le gouvernement, qui a fait plus de 10 morts et de nombreux blessés par balle et a provoqué des dizaines d'arrestation, n'a pas réussi à le mouvement et à au contraire provoqué une certaine radicalisation dans les affrontements.
Ce qui était effectivement en jeu c'était le droit de circulation mais aussi le contrôle du territoire. La rébellion paysanne a ouvertement remis en cause l'autorité de l'Etat ainsi que "l'ordre public" au cours d'un épisode de guerre civile territoriale qui a vu se généraliser l'organisation de l'autodéfense paysanne. Les tactiques militaires paysannes tendaient à rendre inefficace le déploiement militaire des troupes et des tanks, à moins de recourir, de la part des officiers, à un massacre généralisé aux répercussions incontrôlables.
L'organisation des différents aspects de la lutte revenait aux assemblées des communautés indigènes et aux syndicats de base, démontrant ainsi l'efficacité et la capacité organisatrice de la démocratie directe sur des bases communautaires. La jeunesse paysanne a joué un rôle d'avant-garde au cours des affrontements et les dirigeants nationaux ont eu beaucoup de mal par la suite à canaliser le mouvement sur le chemin de la négociation. La force de cette massive mobilisation a résidé dans ces méthodes radicales de lutte qui ont insufflé des traits de double pouvoir territorial au sein des syndicats de base , alors que la superstructure de la CSUTCB restait aux mains des dirigeants officiels.
Après plusieurs jours d'une lutte héroÔque, le "Mallku" Quispe et Evo Morales, le leader des cocaleros ont décidé de chercher séparément une issue en négociant avec le gouvernement de Banzer, au bord du gouffre. Une fois de plus, comme en avril, la politique des directions a été un obstacle pour la mobilisation et vers l'unité ouvrière-paysanne. La COB a ouvertement refusé d'impulser la lutte. Le programme de Quispe, avec son double jeu d'encercler les villes et son discours indianiste, tout en cherchant la négociation avec le gouvernement, éloignait la possibilité d'union entre les masses laborieuses urbaines et la rébellion paysanne. De plus, le "Mallku" a finalement opté pour des négociations séparées , rompant de fait l'unité entre le Chaparé et l'Altiplano. La CSTUCB s'est retrouvée en crise au sein de son équipe dirigeante comme cela a pu se voir lors du dernier congrès d'Oruro cette année.

Démocratie directe et Assemblée Constituante.
Avril et septembre ont mis à nu l'énorme manque de légitimité tant politique que sociale du faible Etat bolivien, ainsi que l'extrême gravité des tâches structurelles : la question de la terre, les droits à une pleine autodétermination pour les peuples originaires, la misère, le chômage, le poids humiliant de l'impérialisme. C'est ainsi qu'ils ont mis à l'ordre du jour la nécessité de réorganiser le pays sur de nouvelles bases;
Les courants réformistes ou "progressistes", depuis le PCB en passant par le Mouvement "Sans Peur" essaye d'escamoter une réponse indépendante des ouvriers et des paysans face à cette crise nationale en prônant la solution d'une Assemblée Constituante, s'appuyant sur des thèses faisant référence à la "démocratie participative" ou "le pouvoir constituant" dans sa version vénézuélienne d'Hugo Chavez. C'est à dire qu'ils proposent une politique de réforme des institutions politiques sans rompre avec la grande propriété ni l'impérialisme.
Cette manière de poser le problème s'oppose le programme trompeur de "perfectionnement" de la démocratie formelle dans un pays semi-colonial, fondé sur l'exploitation des ouvriers, des paysans et des indigènes; ainsi qu'à la démocratie directe et aux légitimes aspirations démocratiques des masses.
Le courant autogestionnaire incarné par Garcia Linera, malgré son soutien apporté à la Coordinadora et à la démocratie formelle, échoue en n'offrant aucune alternative conséquente au réformisme traditionnel.
Dans Asi Es, organe de ce courant, on peut ainsi lire : "L'Assemblée Constituante se profile comme une instance de type nouveau née au sein de la société civile pour discuter et décider des affaires communes (...). La Coordinadora a été une grande réunion souveraine de représentants élus au sein de leurs organisations de quartier, urbaines, syndicales, paysannes, communales etc... ayant pour projet la réorganisation de la vie politique du pays (...). Et toutes les mesures prises sont ainsi impératives. C'est en cela que l'Assemblée Constituante est un pouvoir souverain(...)."(27)
Cela est une confusion complète, car l'Assemblée constituante, même si elle est démocratique e large, n'en reste pas moins une institution de la démocratie bourgeoise. On ne peut pas en faire à l'échelon national un équivalent de la démocratie directe des masses mobilisées, comme tendait à l'être la Coordinadora. Celle-ci s'appuyait directement sur le soulèvement insurrectionnel. Peut-on imaginer une Constituante souveraine sans un gouvernement provisoire des organisations ouvrières et paysannes qui en assurent la pérennité ? Alors que le peuple démettrait Banzer, la bourgeoisie, les militaires et l'impérialisme attendraient bien sagement ?
Asi Es combine une orientation démocratique à un programme minimum d'autogestion des ressources de l'Eau. Imposer un contrôle direct des ouvriers et des usagers sur ce service serait une victoire pour les masses et une grande leÁon politique. Mais peut-on imaginer une possible "gestion du pouvoir public en fonction d'un thème aussi spécifique que l'eau"(28) sans revoir toutes les privatisations des entreprises publiques et revenir sur le projet d'ensemble du gouvernement actuel. La politique menée par Asi Es en revient à dénaturer la Coordinadora en tant qu'instrument des masses pour l'auto-organisatio démocratique et l'unité dans les luttes. Garcia Linera et ses partisans confondent les organes de démocratie directe, la lutte pour une plus grande liberté politique en allant même jusqu'au bout de l'expérience de la démocratie formelle ou représentative (en cela le combat en faveur d'une constituante sur les bases des ruines du régime actuel peut être utile), et la nécessité de passer à un régime supérieur qui peut seulement aboutir par la prise du pouvoir politique par les organisations démocratiques des masses.
En ce sens, le programme autogestionnaire est au bout du compte le spectre gauche du programme réformiste des directions bureaucratiques, ennemies jurées de l'auto-organisation et de la démocratie directe.

Le sectarisme du POR (Parti Ouvrier Révolutionnaire)
Le POR-Masas, courant traditionnel se réclamant du trotskisme mérite une étude toute particulière. Face aux problèmes patents, le POR a renoué pour la énième fois avec son impuissance sectaire. En avril, comme en septembre, tout en jouant un rôle de premier plan au sein de la lutte des enseignant, et comptant avec Miguel Lora au sein de la direction de la Coordinadora, il a capitulé aux cours des moments décisifs devant les directions réformistes, en refusant de mener un combat en faveur d'une perspective d'indépendance politique de la Coordinadora, pour son extension à un niveau national ou en faveur de Comités de Grève pour généraliser l'expérience de l'auto-organisation et mettre à mal la direction bureaucratique et réformiste de la COB.
Le POR n'a pas eu non plus de politique en direction d'une alliance avec les paysans et les indigènes, faisant ainsi le jeu des directions petite-bourgeoise du mouvement paysan. Comme à son habitude, le POR cache son impuissance et son suivisme en répétant des formules abstraites comme "dictature du prolétariat" en les opposant aux expériences des masses en lutte. C'est en pensant à quelqu'un comme Guillermo Lora [leader historique du POR] que Trotsky semble avoir écrit : "Opposer la consigne des soviets comme des organes de lutte du prolétariat à la lutte réelle d'aujourd'hui consiste à transformer une telle consigne en un sanctuaire ultra-historique, en une icône ultra-révolutionnaire, que peuvent seulement adorer quelques dévots, mais qui sont incapables de mobiliser les masses révolutionnaire."(29)

La crise de la COB et le rôle de la classe ouvrière.
La COB, syndicat historique surgi de la révolution de 1952, traverse une crise aiguë. La base objective se situe dans la défaite historique de 1985-86 à la suite de l'atomisation du mythique prolétariat minier bolivien après la fermeture des mines d'Etat après 1985 et les transformations imposées pendant les 15 années de "réformes libérales" ayant entraîné le chômage de masse, la précarisation accrue, la destruction des syndicat de base, etc... Mais la faiblesse du mouvement est avant tout politique et repose sur les épaules de la direction bureaucratique inféodée au régime de la "démocratie pour les riches" et qui a trahi a plusieurs reprises la résistance des masses. En avril et en septembre la COB a de nouveau rempli son rôle de division et d'entrave au mouvement.
L'expérience d'avril a souligné les tendances à renouer avec les traditions de centralité ouvrière au sein des mobilisations de masses. C'est en ce sens que nous sommes d'accord avec G. Linera lorsqu'il reconnaît "qu'une direction ouvrière a unifié dans le temps et au travers d'un même programme d'action les travailleurs des champs avec ceux de la ville, les chauffeurs de bus avec les vendeuses des marchés et la classe moyenne paupérisée".(30) Il faut effectivement souligner le rôle central qu'a joué la fédérations des travailleurs d'usine (dont il connivent de rappeler la longue tradition de batailles à Cochabamba) au sein de la Coordinadora, tout comme celui des syndicat des enseignants urbains et ruraux, ce qui démontre le potentiel dirigeant et unificateur du mouvement ouvrier.
Cependant, ce qui importe, ce n'est pas simplement ici de la "direction ouvrière" mais un programme ouvrier indépendant qui montre une issue pour la nation opprimée. Et c'est en cela qu'il faut que la classe ouvrière unissent ses rangs et fasse jouer son rôle pleinement au sein du processus de production ainsi que son poids social pour imposer sa centralité.
La division entre la ville et les campagnes en septembre, consolidées par la politique des directions paysannes et le rôle de la COB- met en lumière la nécessité de l'irruption de la classe ouvrière indépendante, seule classe qui puisse être pour la paysannerie u allié ferme et lui donner un programme qui sache unifier les revendications des masses.
L'exemple de la Coordinadora montre le chemin pour dépasser l'atomisation des travailleurs et réussir l'alliance entre les masses hétérogènes des villes et des campagnes. Avec une politique juste s'appuyant sur l'unification des rangs de la classe ouvrière, son indépendance par rapport à l'Etat et à la bourgeoisie, la démocratie de classe, c'est ainsi que les syndicats et les fédérations pourront se transformer en organes d'auto-organisation ouvrière. Un Comité National de Grève ou une Coordination nationale peuvent dépasser le rôle de frein que joue la bureaucratie de la COB et ce serait le meilleur moyen pour organiser "l'Etat major" nécessaire pour coordonner la grande lutte nationale contre Banzer.
(...)

ARGENTINE : " PIQUETS, COUPURES DE ROUTES ET GREVES GENERALES "

Nous avons inclus dans cette édition de EI deux travaux sur la crise en Argentine (cf p 5 et suivantes). Ici nous nous limiterons à une analyse des expériences avancées du mouvement des travailleurs au chômage et de certaines des luttes ouvrières de cette dernière période, comme étant les premiers pas encourageants d'un nouveau mouvement ouvrier, qui s'est forgé sous l'offensive du capital et de conditions difficiles d' " hyper-chômage ".
" PIQUET, COUPURE DE ROUTE ET AUTO-ORGANISATION "
En novembre 2000, c'est produit à Mosconi et Tartagal (Salta) un soulèvement dont l'impact a été très important. Il a été déclenché par l'assassinat d'un " piquetero " par les forces de police lors de la répression d'une coupure de route pour la réclamation de postes de travail. Le village entier s'est soulevé, a investit les commissariats, pris en otage les policiers et s'est approprié les armes policières : " La vengeance a été dirigée sur les symboles du pouvoir et du malheur populaire, de même que lors du santiagazo de 1993 : les " piqueteros " attaquèrent à coup de pierres l'Hôtel Pòrtico Norte. Il continuerait sur l'unité 4 et le commissariat 36 (avant ils avaient incendié la section 41 de Mosconi)â... le Journal El Tribuno, la Municipalité, le banque Nacion et la Provincia, les ateliers et la cafétéria de l'entreprise Atahualpa " Finalement, le gouvernement a dû céder quelques 1300 postes provisoires de travail et faire quelques autres compromis.
A Tartagal sont réapparues les tendances à l'auto-organisation et les éléments d'autodéfense populaire, les traits insurrectionnels et le pouvoir duel embryonnaire qui caractérisé les rébellions des travailleurs au chômage de l'intérieur du pays depuis le premier Cutralcazo en juin 1996, avec les piquets et les assemblées populaires et la Coordination de " piqueteros " de Jujuy en 1997, commes expériences les plus avancées. Ainsi, les " piqueteros " soulèvent le mot d'ordre progressif " du travail pour tous " qui remet en cause le plan bourgeois et ouvre la voie de l'unité avec les travailleurs occupés.
Au sujet de piquets et coupures de route, une étude signale : " Pour pouvoir réellement connaître leur importance en tant qu'instrument de lutte et indicateur de la phase que cette dernière est en train de passer, il faudrait distinguer entre les coupures qui constituent un instrument subordonné à une autre fourme qui les inclut, c'est ainsi qu'ils se sont présentés historiquement (comme le piquets pour garantir un block out ou une grève), de ceux qui se constituent comme instrument principal de la lutte. L'image généralisée, construite dans une importante mesure par les média de communication massive n'établit pas cette distinction. Les coupures de route du type de ceux de Cutralco en 1996-1997, Libertador General San Martin en 1997, Tartagal en 1997, Cruz del Eje en 1997, correspondent à une autre catégorie dans la mesure où ils constituent l'occupation d'une position défendue face aux forces policières. Dans ce cas les piquets servent à garantir cette coupure, ils sont massifs, plus d'une fraction sociale y est présente et, bien qu'ils commencent par être organisés dans des multisectoriels ou autres formes semblables, bientôt une organisation en assemblée surgit ainsi que des formes que, cédant à la tentation, nous pouvons appeler " démocratie directe ", ce qui porte en soi-même la désinstitutionalisation " (...) . Même comme expériences locales ou épisodiques, ce sont là des jalons importants d'auto-organisation démocratique et une expérience des premiers escarmouches d'une guerre de classes.
Le mouvement des travailleurs au chômage et la généralisation du piquet et de la coupure de route
Depuis lors la coupure de route et le piquet pour l'organiser et le défendre se généraliseraient, devenant le patrimoine du mouvement des travailleurs au chômage au niveau national, des luttes par entreprise et secteur, et finalement des grèves générales actives.
La généralisation de ces méthodes a accompagné le développement du mouvement des travailleurs au chômage à l'échelle nationale, un phénomène très important dans un pays où le taux de chômage est de 15%- 4 millions de travailleurs au chômage et de précarisés-.
Ce mouvement, avec divers noyaux dans tout le pays, qui très souvent ne sont pas contrôlés par les directions officielles des centrales syndicales ou les partis traditionnels (bien que ceux-ci agissent et aient une influence sur ceux-là), est une avancée importante pour l'ensembles de la classe ouvrière, car elle commence à remettre en question de façon objective, la division dans les rangs ouvriers entre les occupés et les travailleurs au chômage, bien qu'elle établisse pas encore un lien étroit avec les usines et les syndicats. Lors des dernières grèves et mobilisations, ils ont tendu à converger dans les coupures et les piquets. Ceux-ci, comme méthode, ont été incorporés à l'arsenal du mouvement ouvrier et de masses et sont un instrument d'organisation démocratique pour la lutte : " Le piquet, noeud central de la coupure est formé par un groupe d'hommes et de femmes -bien qu'éphémère, c'est là le destin de l'avant-garde!- qui organisent et assument la responsabilité de se maintenir sur place bien que pas nécessairement celle de diriger. Le lieu de décision est l'assemblée, démocratique et plurielle, qui réunit parfois des milliers de personnes dans un exercice de démocratie directe " . Ces trois dernières années plus de 800 " coupures " ont eu lieu, qui avaient à leur tête des travailleurs au chômage, des ouvriers industriels, des travailleurs de l'Etat de l'intérieurs du pays et des instituteurs, des voisins des quartiers populaires et de petits producteurs de la campagne. En 1997, 140 coupures ont été réalisés, en 1998 seulement 51, mais en 1999 252 et en 2000 476 dans tout le pays , beaucoup dans les grandes villes : Rosario, Mar del Plata, La Plata, et Grand Buenos Aires. En janvier-fevrier 2001, les coupures de route ont montré un développement majeur, de même pour les piquets, dans les actions du mouvement des travailleurs au chômage dans le Grand Buenos Aires et dans l'intérieur du pays, et la grève générale et protestations de mars et les luttes contre les fermetures d'entreprises et autres.
Premiers pas d'un nouveau mouvement ouvrier
C'est ainsi qu'avance un lent et long apprentissage d'expériences pratiques des masses, qui vient depuis les révoltes provinciales et du " Santiagazo " de 1993. L'étude citée de I. Carreras et M. Cotarello, analyse trois moments : la " mutinerie ", par exemple lors du " Santiagazo "; les " grèves générales " (où sont signalées les grèves des 26 et 27 septembre et 18 novembre 1996 comme grèves déterminantes pour freiner l'offensive du gouvernement de Menem); et les " coupures de route ". Les auteurs signalent que " la description de ces trois types de protestation semble signaler une avancée depuis des formes non systématiques vers des formes systématiques. Mais l'interrogation qui doit être posée est de savoir si a réussi à se constituer un mouvement de protestation ou seulement des protestations isolées. ". (Ce document est de la fin de 1999, lors du bref interrègne des expectatives dans l'Alianza).
Le cours postérieur des événements, selon notre point de vue, confirme le cours ascendant du mouvement ouvrier sur le chemin des grandes actions de masses, comme les grèves générales (dans plusieurs on a pu voir un front unique des centrales syndicales CGT, CGT dissidente et CTA), et le mouvement des travailleurs au chômage et les diverses luttes partielles. Le mouvement ouvrier a été le protagoniste de 4 importantes grèves générales en seulement 2 ans de gouvernement de l'Alianza, ouvrant ainsi une nouvelles situation dans le pays.
La contondante grève nationale de 36 heures en novembre 2000, a regroupé 6 millions de travailleurs et a été accompagnée d'actions directes, marches et protestations dans tout le pays, et où participaient des secteurs de travailleurs au chômage et de la population pauvre. Les travailleurs de grandes usines et les travailleurs au chômage ont participé ensemble aux piquets et coupures de route (300 dans le pays, avec plus de 100 000 personnes) montrant des tendances progressistes à l'unité de l'ensemble de mouvement ouvrier et la sympathie des secteurs moyens.
A la chaleur de ce processus, les travailleurs font leurs premiers pas dans un nouveau mouvement ouvrier, montrant des tendances d'unification et de centralisation et le caractère objectivement politique de leurs actions, mettant en question les plans d'attaque du patronat fragilisant la force politique du gouvernement.
Bien que le prolétariat n'a pas encore fait irruption dans l'action comme une force autonome et que le retard politique est très important, ce processus est symptomatique des tendances vers une centralité sociale et politique plus grande de la classe ouvrière argentine. La réalité dément les thèses de ceux qui affirment la " décadence du prolétariat " et sa dissolution dans de " nouveaux mouvements sociaux " où le mouvement ouvrier ne serait qu'une composante de plus.
Il faut prendre en compte que nous venons de trois années de récession aiguë et chômage qui rend très difficile la grève par entreprise isolée ou les conflits salariaux. Néanmoins, des processus ponctuels symptomatiques, moléculaires, ont commencé à avoir lieu dans divers segments des travailleurs occupés, comme parmi les " autoconvoqués " du corps enseignant de la province de Corrientes a la fin de l'année 99 où, lors de la grève, la direction syndicale a été débordée par une organisation démocratique de délégués de base : pendant plusieurs jours ils coupèrent le pont stratégique sur le fleuve Parana et ils affrontèrent la gendarmerie. La longue lutte des travailleurs de la sucrerie La Esperanza a inclus la prise d'otages et le fonctionnement de l'usine sous contrôle ouvrier, devenant une expérience inédite depuis de nombreuses années.
En 1997, les travailleurs de l'usine Fiat-Cordoba ont expulsé la bureaucratie du SMATA et ont tenté de s'organiser de façon indépendante dans le SITRAMF.
Maintenant, la tradition de lutte antibureaucratique affleure dans divers processus de nouvelles directions par usine ou section et émergent des luttes comme celles des travailleurs du poisson à Mar del Plata qui expulsèrent la bureaucratie. Les travailleurs céramistes de Neuquen ont réussi à renvoyer du SOECEN (syndicat de la province) la bureaucratie et s'orientent à la mise en place d'un syndicat militant et indépendant de l'Etat.
Ces éléments sont encore des phénomènes isolés, d'avant-garde, mais ils montrent que la classe ouvrière a commencé à tâter et reconnaître ses propres forces et commence à se forger au cours de la lutte dans des conditions très difficiles.
Dans le feu de ces actions, dans le cadre de la vie politique en ébullition du pays, se prépare lentement le chemin pour avancer dans le renouvellement de la subjectivité ouvrière.
Le mouvement ouvrier trouvera les méthodes pour dépasser dans la lutte la dispersion de ses rangs imposée par l'offensive capitaliste, et les entraves qu' opposent les " corps organiques " sur lesquels se basent une bureaucratie fortement liée au patronat et à l'Etat.
Il est fort possible que le renouvellement de la subjectivité ouvrière avance grâce à la combinaison de :
a) processus de rénovation des organisations traditionnelles qui maintiennent une certaine vitalité comme les commissions internes, les corps de délégués, certains syndicats, à travers la rupture de leur soumission à l'Etat et au patronat, l'expulsion de la bureaucratie qui y est incrustée et la plus ample démocratie de classe pour unir tous les secteurs de celle-ci (femmes, jeunes, travailleurs en CDI, CDD et au chômage etc...);
b) processus de création de " regroupements spéciaux pour la lutte ", comme les piquets, les comités et autres organismes de travailleurs au chômage, les organismes de contrôle ouvrier, etc. Ce processus inclura la lutte pour une nouvelles idéologie ouvrière indépendante, qui commence à dépasser le retard politique d'une classe ouvrière modelée par le péronisme.
III-QUELQUES LE"ONS STRAT…GIQUES.

Au travers de ces trois processus que nous avons retracé succinctement, les tendance des masses à prendre en main leurs propres problèmes, leur aspiration profonde à faire valoir leur volonté et les premiers pas sur le chemin de la recherche d'une issue à la crise les frappant de prime abord en remettant en cause l'ordre social et politique en cause, est manifeste. En tant qu'expériences avancées elles nous offrent d'importants enseignements : le caractère ouvert des affrontements, la tendance à l'auto-organisation et la démocratie directe au sein de la lutte, autant de méthode radicalisées au travers desquels se libèrent et s'expriment la spontanéité, l'héroÔsme et la créativité des masses exploitées et opprimées.

Armes de mobilisation sociale et école d'éducation politique.
Les masse, au cours de leurs luttes et en avançant dans l'expérience collective essaient et soumettent à l'épreuve de nouvelles formes politico-organisationnelles et de nouvelles méthodes d'action , pour chercher une voie de manière à affronter les conditions économiques sociales et politiques difficiles qu'a créé l'offensive capitaliste et impérialistes lors des dernières décennies. La lutte pour des revendications immédiates (la terre, le travail, la défense des emplois et des conditions de travail), et pour des revendications fondamentales comme le droit à l'autodétermination nationale ou la liberté politique, nécessite la mise en place et le développement de toute une série de "regroupements spéciaux des masse pour la lutte(..), à travers des comités de vigilance quant à ma cherté des prix et d'autres comités issus du mouvement dont l'apparition est symptomatique du fait que la lutte de classe a débordé les limites des organisations traditionnelles du prolétariat"(37).
La lutte pour l'auto-organisation ne se limite pas au mouvement ouvrier même s'il est d'une importance vitale pour le combat au sein des syndicats pour leur rendre leur indépendance par rapport à l'Etat et restaurer la démocratie ouvrière en leur sein, c'est-à-dire pour leur reconquête révolutionnaire. Mais c'est une nécessité aussi pour le mouvement paysan et indigène, des masses populaires paupérisées et du mouvement étudiant comme nous l'a montré l'exemple de la grève de l'UNAM [université de Mexico]. Le actions des masses commencent à indiquer comment combattre la dispersion au sein des rangs de la classe ouvrière, la fragmentation des secteurs populaires, la pression destructrice qui pèse sur les campagnes, les insuffisances des organisations traditionnelles de masse, la nécessité de mener des luttes politiques unifiées à un niveau régional et national. "L'approfondissement de la crise sociale ne fera pas qu'augmenter les souffrances des masses, mais aussi leur impatience, leur persistance et leur pression. Constamment, de nouvelles couches d'opprimés relèveront la tête et avanceront avec leurs revendications. (...) Ils chercheront tous une unité et une direction. Comment des revendications disparates ou des méthodes de lutte différentes peuvent-elles s'harmoniser même au sein d'une seule ville ?L'histoire a déjà répondu à cette réponse, à travers les soviets(...).(38) C'est ainsi que le programme sur lequel se basent les trotskistes explique la dynamique de la mobilisation de masse à partir d'un certain degré de radicalité. Cette dynamique profonde met en évidence les leÁons de la Coordination de Cochabamba, des Assemblées populaires ou des "piquets" de travailleurs au chômage en Argentine.
Aux côtés de celles-ci, durant les explosions de la guerre sociale, l'affrontement ouvert avec la police, la gendarmerie ou les militaires, les semi-insurrection ou les soulèvements, les barrages routiers ou les barricades, tout cela fait qu'une certaine avant-garde accumule des expériences d'autodéfense, en accentuant son courage et sa détermination combative. Ces expériences d'auto-organisation et de démocratie directe constituent une école politique formidable : elles condensent l'expérience de la démocratie formelle et des institutions étatiques, elles facilitent la critique des directions officielles et des différents programmes et des courants politiques, elles accélèrent la sélection de nouvelles couches de dirigeant(e)s.

La classe ouvrière doit prendre la tête de la nation opprimée.
C'est au travers de leur propre auto-organisation que les masses peuvent se constituer en tant que sujet autonome face à l'ordre bourgeois. Mais seule la classe ouvrière peut développer ce processus jusqu'à son terme, en offrant une direction résolue pour les opprimés et les exploités et une solution de fond. La classe ouvrière latino-américaine, en unissant ses force au delà des frontières et en établissant des liens de classe avec le prolétariat nord-américain peut donner une perspective anti-impérialiste et internationaliste à la lutte des masses opprimées combattant pour leur libération.
Seule la classe ouvrière peut assurer à travers la prise du pouvoir politique la résolution intégrale et effective des revendications démocratiques populaires et nationales.
Mais pour prendre la tête de la nation opprimée, le mouvement ouvrier doit conquérir la plus large indépendance de classe. Ceci est condition préalable fondamentale pour le triomphe d'une véritable révolution ouvrière et populaire. " Il est nécessaire que déjà à la veille, (la classe ouvrière) occupe une position d'extraordinaire indépendance par rapport à classe officiellement dominante, plus encore, il est nécessaire qu'en elle se concentrent les espoirs des classes y des couches intermédiaires mécontentes de ce qui existe, mais incapables de jouer un rôle propre " . La rupture de la classe ouvrière avec la subordination à la bourgeoisie va de pair avec la dispute pour l'hégémonie politique sur l'ensemble du mouvement des masses exploitées et opprimées, luttant pour détruire l'influence bourgeoise en elles.
La lutte pour l'unification et centralisation du mouvement ouvrier et pour la conformation de l'alliance ouvrière, paysanne et populaire est, à la fois, une lutte pour la différenciation politique, non seulement par rapport au bloc exploiteur, mais aussi de façon interne. Si à l'intérieur du mouvement ouvrier elle signifie la rupture avec la bureaucratie syndicale privilégiée et corrompue, à l'intérieur du mouvement paysan et populaire elle signifie la séparation et l'affrontement entre les masses pauvres et les secteurs aisés qui ne sont pas disposés à rompre avec la grande propriété et l'ordre bourgeois.
En effet, le mouvement paysan et indigène, comme les couches moyennes appauvries urbaines, sont un conglomérat social hétérogène. La majorité exploitée et opprimée sera disposer à mener une lutte conséquente avec les travailleurs, mais la minorité dirigeante, qui dans les premières phases du mouvement a tendance à représenter les secteurs les plus aisés et est influencée par les ONG, l'Eglise, etc, ne voudra pas rompre avec l'ordre bourgeois. Dans les moments décisifs, elle trahira les masses de paysans les plus pauvres sans terre et opprimés.
Pour tout cela, le développement de la démocratie directe et l'auto-organisation plus ample à la campagne et la ville, sapant le contrôle des appareils réformistes et de la bureaucratie, est une arme puissante pour que cette différenciation politique se résolve en faveur de intérêts de l'alliance ouvrière, paysanne et populaire. Dans les organes démocratiques des masses en lutte, le combat devient plus facile contre les directions traîtres, puisque, " ils seront la vaste arène dans laquelle chaque parti et chaque groupe sera soumis aux épreuves devant les yeux des grandes masses " .
De cette façon la démocratie directe crée un scénario propice à la préparation de la lutte pour le pouvoir ouvrier et populaire, au dépassement des organisations et directions actuelles, à la sélection de nouvelles couches dirigeantes, à la décantation d'une avant-garde avancée qui s'aproprie, dans le feu de ces combats, l'expériences accumulée. En somme, elle crée un terrain extrêmement favorable pour combattre pour une politique de classe et une direction ouvrière et révolutionnaire.

De la lutte pour des revendications immédiates au combat pour le pouvoir politique.
Les "Parlements", les coordinations, les Assemblées Populaires, malgré leur caractère épisodique, embryonnaire, sont un levier fondamental pour un des problèmes décisifs de la révolution latino-américaine : celui des organes supérieurs de front unique ouvrier-paysan-populaire capables de mener à la prise du pouvoir politique.
C'est en ce sens que nous luttons, pour la constitution et le développement d'organismes alternatifs de démocratie directe (comités d'usine, comités de grèves, coordinations) ainsi que d'organes d'autodéfense (piquets, comités, etc...)pour qu'au cours des mobilisations ils se transforment en de véritables conseils ouvriers, paysans et populaires.
La dynamique est similaire à celle que Trotsky prévoyait au début de la Révolution espagnole : "Dans la phase actuelle, les juntes (juntas) sont les formes organisées du front unique prolétarien durant les grèves, pour l'expulsion des jésuites, pour la participation aux élections de la Constituante (Cortes Constituyentes), pour établir des contacts avec la troupe, pour soutenir le mouvement paysan (...). A une étape ultérieure -nous ne savons pas encore quand- les juntes comme organes du pouvoir du prolétariat se trouveront opposées aux institutions démocratiques. c'est seulement à ce moment là qu'aura sonné la dernière heure de la démocratie bourgeoise."(41)
Comme argument théorique, le réformisme traditionnel arguaient que l'auto-organisation n'est possible que dans le cadre de situation directement révolutionnaires, qui ne sont bien évidemment jamais assez m°res pour eux.(42) Mais en vérité, les organismes démocratiques les plus variés de front unique peuvent surgir et surgissent à partir de la base -c'est pour cela qu'il faut combattre en ce sens- en prenant comme point de départ les revendications démocratiques et immédiates les plus chères aux masses, comme la lutte pour les libertés politiques, la lutte pour la terre et contre l'oppression impérialiste. C'est pour cela que le "mouvement révolutionnaire des masses ouvrières, même s'il se trouve loin encore de l'insurrection, engendre la nécessité d'une organisation large et prestigieuse capable de diriger les combats politiques et économiques qui englobent simultanément les lieux de travail et les professions les plus divers."(43)
D'un autre côté, " à la seule condition que les soviets, pendant la période préparatoire de la révolution, pénètrent dans le sein de la classe ouvrière, ils seront capable de jouer un rôle dirigeant au moment de la lutte pour le pouvoir " . Il s'agit alors de pouvoir condenser dans la conscience du mouvement de masses l'expérience pratique accumulée dans le luttes de classes, quelque soient ses formes épisodiques, pour que lors de l'étape décisive, la classe ouvrière et les opprimés puissent trouver un point de concentration pour toutes leurs énergies dans les Conseils et s'orienter vers la prise du pouvoir par ces derniers.
Ainsi, pour reprendre les mots de Lénine " les organes de la lutte de masses immédiate (...) survenus comme organes de la lutte à travers la grève. La nécessité les a poussé à se convertir avec une grande rapidité en organes de la lutte révolutionnaire générale contre le gouvernement. Ils se sont irrésistiblement transformés - par la force du développement des événements et le passage de la grève à l'insurrection- en organes de l'insurrection (...) " . Bien sûr ceux-ci auront besoin d'une direction révolutionnaire au front étant donné que " sans une direction ferme, ils deviendraient une forme vide d'organisation et tomberaient indéfectiblement sous la dépendance de la bourgeoisie. " . Seulement un parti ouvrier révolutionnaire pourra garantir cette direction.

IV-REPRENDRE LE CHEMIN DES ANNEES 1970.

La grande geste révolutionnaire internationale s'ouvrant avec mai 1968 en France a montré d'innombrables exemples de la tendance des masses ouvrières et populaires à l'auto-organisation.On peut penser entre autres aux Comités de soldat, d'ouvrier et de locataires durant la révolution portugaise en 1974-75, aux shoras (conseils) dans les usines et les casernes durant la révolution iranienne de 1979 ou encore à l'organisation massive par Solidarité en Pologne de 10 millions de travailleurs en 1980. Le mouvement d'ascension révolutionnaire a connu bien des exemples en Amérique latine. Les Cordons Industriels chiliens sont les exemples d'auto-organisation et de double pouvoir les plus aigus pendant la période et dans la région au cours des années 1972-73. Ils regroupaient des représentants des usines et entreprises de toute une zone, incluant non seulement les grandes entreprises mais aussi les petits ateliers et bien souvent ils coordonnaient avec les organisations de voisins, paysans, jeunes, femmes au foyer, etc. Ils discutaient et résolvaient toute sorte de problème, depuis le ravitaillement et les prix jusqu'à la réquisition d'entreprises, l'organisation de la production ou l'autodéfense. Les Cordons commençaient à déborder la direction bureaucratique de la CUT ainsi que les coupoles des partis de la UP (Unidad Popular, intégrée par le partis socialistes et communistes chiliens).
L'Assemblée Populaire, apparue en 1970 sur la base de la COB (Central Obrera Boliviana) et des représentations syndicales avec les partis politiques de gauche, se profilait comme un pouvoir parallèle face au faible gouvernement militaire nationaliste au cours des mois précédent le coup d'Etat d'ao°t 71 de Banzer.
Les Coordinadoras qui sont nées autour du Grand Buenos Aires en 1975 pendant la lutte contre le gouvernement d'Isabel Peron, commençant rassembler les commissions internes combatives de nombreuses grandes entreprises et échappant au contrôle de la bureaucratie cégétiste.
Aujourd'hui on commence à ressentir la nécessité de reprendre et d'approfondir le cap que nous a signalé cette tradition.

Les années 70, forces et faiblesses du mouvement ouvrier.
Les conditions actuelles que doit affronter le mouvement ouvrier et de masse, après deux décennies d'offensive du capital, rendent plus difficiles le début de la lutte, mais comme nous avons pu le voir, les masses commencent leur expérience d'auto-organisation et de démocratie directe depuis les phases initiales du mouvement, ce qui peut faciliter une préparation plus large et autonome de la classe ouvrière et de ses alliés avant que s'ouvrent les étapes directement révolutionnaires de la lute de classe. C'est une différence majeure avec les grandes expériences révolutionnaires des années 1970 , puisqu'alors ces conquêtes d'auto-organisation surgissaient tardivement, peu avant les affrontements décisifs, et n'avaient pas le temps de mûrir.
Au cours de années 70 la force relative du mouvement ouvrier se basait sur son important degré de syndicalisation, le faible taux de chômage, la confiance en ses propres forces et la grande expérience de lutte accumulée. La possibilité d'une société différente était manifeste pour des millions, et dans l'avant-garde des exemples de révolution comme à Cuba et au Vietnam avaient un grand impact. Mais cette subjectivité relativement haute était modelée par les concessions économiques et sociales relatives que rendaient possibles la prospérité capitaliste de l'après-guerre. Il est vrai que ces dernières ont été obtenues et défendues au prix d'extraordinaires te constantes luttes - comme la révolution d'avril 52 en Bolivie ou la résistance de 56-59 en Argentine- mais le sous produit de celles-ci était une subordination chaque plus grande des organisations ouvrières et populaires à l'Etat et le resserrement des liens entre leurs directions et l'ordre bourgeois. Dans ces conditions, la subjectivité formellement forte du prolétariat a été modelée sous le contrôle du stalinisme et du nationalisme.
Dans les années 70, lorsque les événements révolutionnaires ont placé le mouvement ouvrier face à l'alternative, défaite ou révolution, il n'a su dépasser le poids conservateur d'une large superstructure, cimentée autour du stalinisme ou du nationalisme, construite au cours des décennies antérieures. Malgré les énormes succès du prolétariat au Chili, en Argentine, en Bolivie ou en Uruguay, il n'a pas su rompre intégralement avec l'ancienne direction et en constituer une nouvelle au moment de la dernière étape décisive, celle de la course de vitesse avec la contre-révolution bourgeoise et impérialiste qui se préparait. C'était là le talon d'Achille qui a amené au désastre du prolétariat international en permettant par la suite l'offensive néo-libérale des années 80 et 90. Les cruelles défaites historiques qu'ont encaissé les masses latino-américaines, à la suite des coups d'Etat sanglant du Cône Sud dans las années 70, et par al suite dans les années 80 à travers la combinaison entre les "Accords de paix" et les "guerres de basse intensité" menées à l'encontre de la révolution e Amérique centrale, démontrent l'écrasante responsabilité politique des directions réformistes, bureaucratiques et guérillistes.

Les conditions sociales et économiques difficiles d'aujourd'hui réclament de nouvelles méthodes et un nouveau programme.
Aujourd'hui les conditions sont différentes, le prolétariat et les masses partent d'un niveau plus bas et sont en proie à d'énormes difficultés. On est en train de commencer à dépasser les séquelles de deux décennies d'offensive bourgeoise et impérialiste sous le programme néo-libérale qui a pu s'appuyer sur les défaites à la fin des années 70. Le prolétariat doit faire face à un chômage et une précarité énorme, au milieu d'une foule de travailleurs à leur compte, flexibles, migrants, etc... Les syndicats, à la différence des années 70 ne regroupent qu'une minorité de travailleurs et sont plus que jamais subordonnés à l'Etat bourgeois. La plus grande partie de la gauche est passée avec armes et bagages dans le camp de la "démocratie"
C'est ce cadre difficile qui est utilisé par certains dirigeants et théoriciens pour justifier leur scepticisme quant aux potentialités révolutionnaires du mouvement ouvrier. Néanmoins, ce que cela démontre réellement, c'est l'échec des méthodes réformistes et l'insuffisance des organisations traditionnelles pour répondre aux dures exigences de ce temps. Il est inutile d'attendre une recomposition organique, évolutive de la subjectivité du mouvement de masse.
Le mouvement ouvrier a en fait besoin de formes organisatives, de méthodes de lutte, d'un programme et d'une direction renouvelée à la hauteur des tâches fixées. Nous commenÁons à découvrir dans ces premières expériences que nous avons tenté d'analyser l'énorme potentiel des méthodes d'auto-organisation et de démocratie directe.
Il faut de plus remarquer que dans le cadre de la "globalisation capitaliste", qui rend plus étroits encore les liens politiques et économiques sous la domination impérialiste, des secteurs avancés commencent à sentir la nécessité d'unifier la lutte contre des ennemis communs par delà les frontières. Ceci commence à s'exprimer sur des drapeaux progressistes antiimpérilistes, comme contre le Plan Colombie ou les plans de l'ALCA, dans le refus de l'ingérence américaine et dans les premiers symptômes d'un nouvel internationalisme.
D'autre part, les possibilités structurelles des appareils bureaucratiques et réformistes pour freiner durablement l'évolution de ces mouvements sont moindres : leur influence n'est plus que l'ombre du contrôle que pouvaient assurer les appareils staliniens ou nationalistes dans les années 70.
Tout ceci offre d'avantage de possibilités pour que le nouveau mouvement ouvrier, paysan et étudiant avance sur la voie de son expérience pratique vers un cours indépendant dès premières étapes de son développement.


V-DEUX STRATEGIES.

Comme face à tous les problèmes fondamentaux de la lutte de classe, sur le terrain de l'organisation et de la démocratie directe, deux stratégies irréconciliables s'opposent : Celle des réformistes et celle des révolutionnaires prolétarien.
Les courants réformistes et populiste, qu'ils s'agisse des partis communistes, "progressistes", ou des appareils de guérilla, pour ne pas parler de toutes les variantes de la bureaucratie syndicale, sont autant d'ennemis résolus pour l'organisation indépendante et démocratique des travailleurs. Ils sont hostiles à tout pas en avant échappant au "contrôle syndical", qui remette en cause la "division des tâches" entre ce qui est " revendication " et ce qui est " politique ", entre ce qui est " syndical " et le " front ou parti ".
Cette hostilité n'est pas une question " doctrinaire ". Ils prennent toute avancée sérieuse dans ce sens de classe comme une menace directe de leurs propres positions et leur stratégie de collaboration de classe avec les secteur "patriotiques", "progressistes" ou "démocratiques" de la bourgeoisie. Les espaces de démocratie directe que conquièrent les masses " peuvent être le meilleur instrument pour les tâches de la lutte pour la conquête de l'influence sur la petite-bourgeoisie. Mais, par contre, ils rendent extrêmement difficile la collaboration de la bureaucratie ouvrière avec la bourgeoisie. "
C'est pourquoi quand ils ne peuvent pas empêcher son apparition ou les dissoudre, ils s'efforcent de les réduire à des points d'appui de la collaboration de classes, à les subordonner aux organisations existantes et à les réconcilier avec l'ordre bourgeois. C'est ce que montre l'actuation des maoïstes et indigénistes en Equateur, de la COB et stalinisme en Bolivie ou de la CTA et le maoïsme en Argentine.
D'un autre côté, comme nous l'avons vu dans le cas de la Bolivie, le programme de courants comme " l'autogestionnaire " est impuissant pour proposer une stratégie conséquente d'auto-organisation et de démocratie directe pour la lutte.

Une stratégie pour l'auto-organisation des masses.
La lutte pour l'organisation indépendante va de paire avec la préparation subjective de la classe ouvrière et de ses alliés pour la prise du pouvoir politique. Cela consiste à conquérir la plus large autonomie en tant que classe en assurant les conditions de l'alliance ouvrière, paysanne et populaire, en luttant de manière résolue contre les directions conciliatrices et pour forger une direction révolutionnaire. C'est là le contenu d'une stratégie conséquente d'auto-organisation, que l'on peut aussi appeler "politique soviétique".(49) C'est pour cela que l'on peut uniquement le faire sur la base d'une méthode et d'un programme trotskiste qui généralise et synthétise l'extraordinaire expérience du mouvement ouvrier international.
Cependant, la plupart des courants se réclamant du trotskisme échouent lorsqu'il s'agit de proposer une politique conséquente pour développer l'organisation indépendante des travailleurs et des opprimés, soit à cause de leur adaptation aux directions existantes, soit par "respect des corps de représentation organiques que sont les syndicats" et leur manque de stratégie soviétique. La UIT et la LIT encensent les "Parlements Populaires" d'Equateur comme des organes de pouvoir mais ont été incapables de proposer une politique indépendante de la direction indigéniste et réformiste. En Bolivie, le POR refuse de lutter pour développer des Coordinations ou des Comités de grève à un niveau national. En Argentine, ni le MST ni le PO n'ont su retirer aucune leçon révolutionnaire des " piquets ", si ce n'est grossir leurs rangs.
Malgré la politique des " trotskistes " de ce genre-là, le programme et la méthode trotskiste tend à essayer de répondre aux nécessités profondes de la mobilisation et trouve de nouveaux points d'appuis au sein des expériences des masses. Le trotskysme croit en l'énergie, la spontanéité et la créativité des exploités et des opprimés pour dépasser les obstacles et se mettre à la hauteur des tâches historiques, tout en combattant avec intransigeance les médiations qui font entrave à ce développement. Il tend à appuyer tous les pas progressistes effectués par les masses sur le chemin de l'auto-organisation et des méthodes de lutte qui bataillent en faveur de son développement, extension, massification et centralisation, pour les doter d'un programme indépendant et d'une direction ouvrière révolutionnaire.


VI-QUELQUES CONCLUSIONS.

Le cadre complexe de la politique internationale, les irruptions de la lutte de classe sur le continent, l'expérience politique et de lutte que les masses sont en train d'accumuler au cours des mobilisations constituent un laboratoire politique et social vaste et varié.
Dans ce contexte, nous assistons au réveil à la vie politique d'une nouvelle génération qui commence à chercher une solution de fond, avide de nouvelles idées, dans le feu d'expériences importantes.
De plus, les combats actuels de la lutte de masses offrent une opportunité inappréciable pour extraire des leçons révolutionnaires et les incorporer à la méthode, au programme, à la théorie marxiste.
Tout ceci fertilise un terrain plus favorable pour allant dans le sens d'une recomposition de la continuité du marxisme révolutionnaire et pour commencer à regrouper autour du programme de la révolution prolétarienne les éléments les plus avancés. Comme le disait Lenine, "une théorie révolutionnaire juste, ce n'est pas un dogme, mais elle ne se forge de manière définitive qu'en étroite relation avec l'expérience pratique d'un mouvement de masses véritable et vraiment révolutionnaire."(50)
Nous considérons que c'est une nécessité pour l'avant-garde ouvrière, étudiante et populaire, ainsi que pour ceux qui se réclament du trotskisme et cherchent à se frayer une voie vers la révolution, que de réfléchir et de s'approprier les leÁons qu'ont laissés derrière eux ces combats des masses latino-américaines, tout comme les enseignement de la lutte de classe et de la politique internationale d'aujourd'hui.
Ces tâches d'une br°lante actualité se situent dans la perspective du combat qui sera central pour la rénovation révolutionnaire de la subjectivité de la classe ouvrière et des masses : la construction de nouveau partis ouvriers, révolutionnaires et internationalistes, et d'une internationale révolutionnaire qui centralise la lutte contre le capital impérialiste, c'est-à-dire avancer sur le chemin de la reconstruction de la Ivè Internationale comme parti mondial de la révolution socialiste.

La Fraction Trotskiste-Stratégie Internationale place ses modestes forces au service de cette perspective et des tâches urgentes que cela nécessite.
Nous nous considérons comme une ligue de propagande marxiste révolutionnaire qui intervient dans la lutte de classe en combattant pour une politique trotskiste de principe. Il s'agit pour nous de tirer les leÁons révolutionnaires de ces événements, non comme de simples commentateurs mais parce que cela est nécessaire et urgent pour s'armer pour l'intervention au sein de la lutte de classe. Au Mexique, nos camarades de la LTS et Contracorriente ont été en première ligne au sein du Conseil Général de Grève, instrument d'auto-organisation essentiel lors de la grève de l'UNAM. En Bolivie la jeune LOR-CI combat en faveur d'une politique révolutionnaire pour avancer sur le chemin ouvert par les événements d'avril et de septembre. En Argentine le PTS, comme le montre la diffusion de notre organe La Verdad Obrera lute pour se lier aux combats et aux processus les plus avancés menés par les travailleurs.

Nous ne partageons pas les velléités autoproclamatrices de certains courants qui se considèrent comme "Le Parti Révolutionnaire" Au contraire, nous pensons que l'on avancera sur le chemin de la reconstruction de nouveaux partis révolutionnaires et de la IVè Internationale à travers un processus vivant de fusions et de ruptures qui auront lieu autour de grands événements de la lutte de classe.
Suivant cette direction, nous proposons comme méthode correcte qui permette de faire les premiers pas pratiques vers un rassemblement de principe des trotskistes l'établissement de Comités de liaison et de rapprochement avec ceux avec qui nous convergeons sur la base des questions fondamentales de notre époque. L'effort à mener pour tirer des leÁons dans un sens révolutionnaire des événements politiques et des grandes actions des masses comme celles que nous avons tentées d'étudier au cours de cet article, guide cette même préoccupation.

Notes :
1. L. Trotsky, Sobre Europa y Estados Unidos, Ediciones Pluma, Buenos aires, 1975âp.10.
2.C'est-à-dire une étape préparatoire de la lutte de classe dans les limites de l'époque impérialiste que les marxistes appellent l'ère des crises, des guerres et des révolutions.
3.F. Engels, "De l'action politique de la classe ouvrière", discours du 21/09/1871.
4.Lenine, Que faire?
5.Marx, Engels, Le Manifeste communiste.
6.Cf les n8 10 et 13 de notre revue.
7.James Petras, "El nuevo campesinado revolucionario", édition en ligne, 14/06/00.
9.L. Trotsky, "Los problemas de la insurreccion y de la guerra civil", Trotsky, teoria y practica de la revolucion permanente, compilation d'Ernest Mandel, Siglo XXI Editores, méxicoâ1983âP.110.
10. Il faut signaler l'usage des mêmes piquets lors des grèves générales au Paraguay ou lors des Fronts régionaux au Pérou.
11.Ecurunari regroupe la paysannerie indigène de la cordillère, la FENOC est la Fédération Nationale des Organisations Paysannes.
12.Programa del Parlamento de los Pueblos de Ecuador, projet, s/d, s/e.
13.Mouvement politique basé sur les organisations paysannes et les "mouvements sociaux", fortement influencé par les ONGs et l'Eglise. Son programme combine des conceptions indigénistes et social-démocrates.
14.c/f le n815 de notre revue, 15 mars 2000.
15.Appel du PCML du 25/01/00.
16. Javier Ponce, analyste politique cité par Kintto Lucas, La rebelion de los indios, Quito, Equateur, 2000, P.99.
17.Communiqué du Parlamento de los Pueblos de Ecuador, 23/01/00.
18. Voir les textes de Trotsky sur la lutte contre le fascisme en Allemagne par exemple.
19.Kintto Lucas, La rebelion de los indios, Quito, Equateur, 2000, P.93.
20.Le PCML et le FP ont convoqué peu avant un Congrès qui n'a pas eu de répercussion.
21.G. Almeria, "Ecuador, los poderes en pugna y el poder estatal" in La Jornada, México 31/01/00.
22.C/f Correo Internacional, n884, la UIT a aussi publié des analyses "rouges" de la situation.
23.Trotsky La révolution de 1905. Ed; Planeta, Barcxelona, 1975âp.191
24.Oscar Olivera, Pulso du 26/05/2000.
25. Lucha Obrera n82, La Paz, Bolivie, avril 2000.
26. R. Gutierrez et A. G. Linera, "El proyecto de la rebelion social"âLa Razon, La Paz, Bolivie, 23/04/2000.
27. R. Gutierrez , "Asamblea constituyente : el poder en nuestras manos", Asi Es, n82, décembre 2000.
28. R. Gutierrez âidem.
29. L. Trotsky, "La revolucion Espanola y sus peligros", in La Revolucion espanola, ediciones El Puent, Buenos Aires, s/d, p.81.
37.L. Trotsky Programme de transition de la IV8internationale.
38.L. Trotsky, idem.
39.L. Trotsky, Histoire de la révolution russe, chapitre sur le double pouvoir.
40.L. Trotsky, "La Revolucion espanola y la tactica de los comunistas", in La Revolucion espanola, ediciones El Puent, Buenos Aires, s/d, p.62.
41.L. Trotsky, "La revolucion Espanola y sus peligros", in La Revolucion espanola, ediciones El Puent, Buenos Aires, s/d, p.81.
42.Le stalinisme, tout en forgeant la théorie et la pratique des "fronts populaires", "a causé un dommage incalculable au mouvement révolutionnaire dans le monde en faisant passer le préjugé que les soviets ne s'orgqanisent uniquement en vue du soulévement armé et à la veille de ce dernier" L. Trotsky, "La Revolucion espanola y la tactica de los comunistas", in La Revolucion espanola, ediciones El Puente, Buenos Aires, s/d, p.62.
43.L. Trotsky, idem.
44.L. TrotskyâProgramme de transition de la IV8internationale.
45. V.I.Lenin, "La dissolution de la Douma et les tâches du prolétariat", texte de juillet 1906.
46.L. Trotsky, "La Revolucion espanola y la tactica de los comunistas", in La Revolucion espanola, ediciones El Puente, Buenos Aires, s/d, p.62.
47C/f le n813 de notre revue, Estrategia Internacional, o? nous faisons le parallèle avec l'exemple tragique de la Révolution allemande.
48.L. TrotskyâO? va la France, editorial Pluma, Buenos Aires, 1974, P119.
49.
50. V.I. Lenin, "le gauchisme, maladie infantile du communisme" in Obras Completas, tome XXXI, p.19 et suivantes, Editorial Cartago, Buenos Aires, 1960.